L’ENSEIGNEMENT INATTENDU
Tome 2
SAORA
l'Accident
Des pluies diluviennes se sont abattues sur la région. L’eau furieuse et tourbillonnante a envahi une bonne partie du pays. Un immense torrent boueux, bruyant, impétueux et ardent a tout emporté sur son passage. Le temps des moussons est arrivé, les averses ont été abondantes et le gros du déluge est enfin passé. Le ciel grisonnant sur ces eaux si hautes, assombrit encore ce paysage dramatique. Les habitants qui le peuvent se déplacent en barque et font comme Sahila et Stéfanie, qui vont de maison en maison, pour aider les gens qui s’agrippent sur tout ce qui se présente à eux. Certaines personnes sont sur les toits et nos amies, les ramènent jusqu’au dispensaire qui lui, est encore au sec. D’autres individus s’accrochent à des branches et Adil, lui aussi en bateau, après avoir secouru d’autres personnes en difficulté, les rapatrie au même endroit. Le vent se lève et souffle en rafale, la pluie continue de tomber et il est de plus en plus difficile de porter secours aux sinistrés.
- Il y en a deux sur le toit là bas, dit Stéfanie.
- Oui je les ai vus, allons-y ! Le courant est fort, il faut faire attention, en plus, il y a des arbres juste à côté, répond Sahila.
L’embarcation se rapproche lentement et Stéfanie tend la main vers l’inconnue. Elle attrape la jeune femme et arrive à la faire monter à bord. Le bateau est un peu secoué mais il semble stable quand même. Elle installe sa protégée, se retourne pour saisir la main de la seconde personne et tant bien que mal, l’installe à son tour auprès de la première arrivée.
- Il faut rentrer. Cela devient trop dangereux !
Mais Stéfanie ne continue pas sa phrase. Soudain, avec force, une rafale de vent se déchaine et finit de briser une grosse branche qu’elle reçoit violemment sur la tête. Sous le choc, elle tombe à l’eau. Sahila se précipite vers elle.
- Stéfanie !!! Stéfanie !!! s’écrie Sahila, qui essaye de la rattraper mais en vain. Stéfaniiiie !
Le bateau tangue, Stéfanie coule et ne répond pas, Sahila tend ses bras de toutes ses forces vers son amie qui disparait puis réapparait plusieurs fois au dessus de l’eau, mais elle ne peut rien faire. Le courant l’emporte rapidement comme s’il la « volait » à ses amis. Elle n’oppose aucune résistance. Elle est inconsciente.
Sahila est désespérée.
- Je n’ai rien pu faire… je n’ai rien pu faire… répète t-elle.
Adil, qui a vu l’accident, est arrivé à sa hauteur.
- oui, j’ai vu... Tu ne pouvais pas la rattraper..
Adil, attristé, ne sait que dire. Stéfanie emportée par les eaux est, déjà pour eux, un choc si violent. Comment annoncer cette terrible nouvelle aux autres membres du dispensaire ? Il se ressaisit, vérifie rapidement les embarcations et donne le départ.
- Il faut y aller maintenant. Il est trop tard, nous ne pouvons plus rien faire… Le courant devient beaucoup trop fort, nous devons rentrer.
Sahila, désemparée, est en larmes. Péniblement, elle reprend la direction du dispensaire. Sa peine est bien visible et la douleur qu’elle ressent est indéfinissable. Elle a l’impression d’étouffer. Son thorax est comme compressé. Elle sanglote. Adil la suit et tristement, ils arrivent au centre.
Arrivés au dispensaire, Sindhi qui les attend, amarre les bateaux et Dominique aide les nouveaux venus à débarquer. Rapidement, ils comprennent qu’un drame vient de se produire.
- Que se passe-t-il ? Où est Stéfanie ? demande Dominique, inquiet.
Sahila ne peut répondre, sous l’effet de l’émotion, elle n’a plus de voix.
- Elle est tombée à l’eau et a été emporté par le courant. Nous n’avons rien pu faire… explique Adil.
Dominique est sidéré, il ne veut pas croire ce qu’il entend
- Non, ce n’est pas possible ! Il faut y retourner. Il faut la chercher. Où est elle tombée ?
- C’est impossible ! Le courant a créé un véritable torrent et, à l’heure qu’il est, on ne peut pas savoir ou elle est emportée… on a déjà eu du mal à revenir avec les bateaux et pourtant ils ont des moteurs. Je suis désolé Dominique, on ne peut rien faire, c’est le Karma…
Adil, très touché par la disparition de son amie, se réfugie, seul, dans sa maisonnette. Il ne veut pas montrer sa peine, c’est lui, maintenant, qui doit montrer l’exemple.
La nouvelle se répand à la vitesse de l’éclair dans le centre et toute l’équipe du dispensaire est abasourdie. Sahila est raccompagnée chez elle par Vajra, sa cousine, qui reste près d’elle pour la soutenir moralement.
- Ecoute, je sais que tu as de la peine. Ici tout le monde en a mais tu sais, elle est allée vers son autre vie. Tu ne dois pas être triste… Elle viendra certainement te rendre visite, tu le sais bien. Allez, sèche tes larmes ma chérie.
Retrouvant péniblement sa voix, Sahila répond :
-Oui je sais tout ça, mais je ressens déjà un si grand vide… Je n’ai pas pu la sauver et même si je sais que c’était son chemin, j’ai du mal à penser qu’elle ne sera plus présente près de moi.
- Tu n’as pas le choix et tu dois, toi aussi, faire ta route… C’est écrit de cette façon et tu n’as pas le droit de baisser les bras. Vous avez fait ce centre ensemble, dans le même but, celui d’aider les gens. Alors, tu dois te battre encore plus pour elle.
- Tu as raison… Je dois faire honneur à sa mémoire… Il faut pourtant que je prévienne ses parents… Comment annoncer une nouvelle si terrible? Cette impression de vide est déjà si grande… Et je le sais bien, la personne qui nous quitte va vers son évolution. Si je pleure, c’est par égoïsme, c’est à moi qu’elle va manquer…
- Elle sera toujours présente pour toi, là (joignant le geste à sa parole) dans ton cœur… Allez courage. Sers-toi de cette force qu’il y a en toi et honore sa mémoire en continuant ce que vous avez créé ensemble. Tu lui dois bien cela.
Pendant ce temps, Stéfanie est emportée comme un ballot de paille dans cette eau sale et brune. Le courant la transporte sans aucune difficulté et laisse des kilomètres de distance entre le dispensaire et elle. Elle passe d’un côté à l’autre des berges mais elle ne s’en rend pas compte. Des troncs d’arbre sont chahutés, bousculés et passent très près d’elle, des résidus de toutes sortes l’accompagnent. Elle n’oppose aucune résistance, elle ne s’aperçoit de rien. Elle disparaît puis réapparaît régulièrement à la surface du torrent. Une grosse branche qui dérive elle aussi, l’accroche au passage et lui permet de rester involontairement à la surface de cette vague en furie. Au bout d’un long moment, la colère des eaux s’apaise, le torrent dévastateur redevient fleuve, puis se calme. Un dernier souffle du vent, une dernière poussée de ce fleuve boueux, la dépose sur le coté du fleuve.
Isolée, abandonnée, elle ne bouge plus et dans ses habits détrempés et sales, elle reste là, inerte comme une poupée désarticulée, au bord de la forêt, sous la pluie, au milieu de nulle part.